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En tournant la dernière page de ce roman, je me suis demandée : « pourquoi diantre n’ai-je jamais lu d’œuvres de John Irving ?! » Moi qui avoue sans vergogne préférer la littérature américaine, comment ai-je pu passer à côté d’un tel auteur, d’un tel style ?! Les éloges dithyrambiques sur l’auteur du Monde selon Garp m’ont sans doute découragée ; la peur de ne pas m’attacher à son style, de ne pas accrocher à son monde et finalement de me sentir exclue du cercle des aficionados m’ont fait repousser l’échéance. Et voilà que l’on m’offre son dernier roman avec l’injonction de le lire. Soit je m’exécute et croyez-moi je ne le regrette pas ! Quatre jours de lecture quasi intensive (par salve de 4h00 de lecture ininterrompue avant d’aller me coucher) pour venir à bout de ce pépère de 600 pages mais 600 pages intenses, magiques, émouvantes, qui m’ont transportée.

Le narrateur d’A moi seul bien des personnages est un adolescent, William Abbott, dont on suit l’éveil sexuel au début des années 60 dans une ville un tantinet puritaine du Vermont. Intelligent, sensible et passionné de littérature, William a été élevé par sa mère et ne sait pas grand-chose de son père qui l’a abandonné à la naissance. Entouré par une famille excentrique : une grand-mère et une tante vieille-école et castratrices, c’est auprès des hommes - son oncle Bob, son grand-père fantasque (acteur phare de la troupe de théâtre de la ville qui affectionne les rôles de femmes) et plus tard son jeune beau-père, metteur en scène - qu’il s’épanouit et apprend à s’interroger sur ce qu’il est. Car notre jeune héros découvre assez tôt son ambivalence qu’il va tenter de cacher aux yeux de tous : il est bisexuel. Fou amoureux de la bibliothécaire de la ville, l’intimidante Miss Frost, sorte de géante aux petits seins qui l’a initié à la lecture (et plus tard à l’amour), il est aussi irrémédiablement attiré par le beau gosse macho et charismatique (leader de l’équipe de lutte) de son école privée pour garçons où il ne fait pas bon « être de la jaquette ». Déchiré parce qu’il ne sait pas et ne veut pas choisir, rejeté à la fois par les homosexuels et par les hétérosexuels, William Abbott manie l’art du faux-semblant et des apparences jusqu’à s’assumer, au prix d’efforts douloureux et à s’accepter tel qu’il est.

Beau roman d’initiation, A moi seul bien des personnages dresse le portrait d’un jeune homme attachant et touchant qui toute sa vie n’aura de cesse de se chercher et de courir après le bonheur. Confronté à l’intolérance et aux préjugés (notamment de sa mère), il fait l’amère expérience de la dissimulation. C’est aussi une très belle galerie de personnages, tous égratignés par la vie : sa meilleure amie, sa mère, son grand-père, le beau gosse macho de son école, Miss Frost, tous liés par l’art de la dissimulation et des secrets. Car là réside le fond du roman : notre vie durant nous sommes tous amenés à cacher ce que nous sommes, prétendre être ceux que les autres attendent de nous. Pour autant, ne sommes-nous pas intrinsèquement ambivalents et plusieurs visages à la fois : l’enfant aimant, l’être de raison, l’homme ou la femme passionné. C’est tout le génie de John Irving qui nous livre une très belle histoire d’amour et un très beau morceau de vie, nostalgique et sensible, cru dans le choix des mots (âmes trop chastes s’abstenir). La prouesse d’insuffler dans ce roman d’initiation choc toute la pudeur liée à un passage émouvant vers l’âge adulte, fait d’A moi seul bien des personnages un véritable petit bijou.

A moi seul bien des personnages de John Irving, collections points
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