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Madeleine, Leonard et Mitchell se sont connus sur les bancs de l’Université, une de ces vénérables institutions de la Ivy League, l’immuable et respectable campus de Brown. Ils s’y sont aimés, se sont déçus, se sont déchirés. Madeleine la jeune bourgeoise du trio, passionnée de littérature victorienne aime Leonard, fantasque et insaisissable étudiant en sciences. Quant à Mitchell, le fils prodigue, chéri de ses parents, il se cherche une voie dans le domaine non moins mystique de la religion et aime d’un amour sans retour la belle Madeleine. Et oui, nous voilà face à ce que l’on appelle couramment le trio amoureux. Jeffrey Eugenides s’attaque à l’amour avec un grand A mais forcément il s’agit d’amours contrariées. Car il y un hic derrière tout cela : notre scientifique et cartésien Leonard est bipolaire, le faisant alterner phase de joie et d’intense activité intellectuelle et sociale avec de profondes phases de dépression, sombrant dans un puits sans fond de fatalisme et de repli sur soi. Difficile alors pour notre jolie et policée Madeleine d’apprivoiser cet homme qu’elle aime par-dessus tout, au-delà de la raison pure, elle qui ne pensait pouvoir être touchée par la grâce de la passion et capable d’une telle dévotion. Face à ce spectacle, Mitchell notre amant éconduit, fidèle compagnon, assiste impuissant aux affres de ce couple et à la détresse de celle qu’il considère comme l’amour de la vie. Sans jamais sombrer dans le pathos ou l’excès de sentimentalisme, Jeffrey Eugenides nous offre une belle histoire d’amour et d’amitié, profonde et sensible, tout en retenu. Le désespoir de Madeleine face au rejet de Leonard qui n’assume pas sa maladie et refuse de se soigner correctement (on le comprend le lithium utilisé annihile les sens et les capacités intellectuelles) est traité avec toute la pudeur et l’émotion qui conviennent. Mais c’est surtout la détresse de Léonard, être égoïste s’il en est, qui m’a le plus émue. Car derrière cette maladie obscure Jeffrey Eugenides restitue la solitude et le désarroi éprouvés par ceux qui en sont atteints, étrangers à eux-mêmes, incontrôlables et qui dans leur malheur ne peuvent être compris , les excluant d’autant plus. Quant à Mitchell, paumé parmi les paumés, on ne doute pas un seul instant de son amour sincère pour Madeleine et malgré l’affection portée à Leonard, nous, gentils lecteurs n’attendons qu’une chose : que Madeleine quitte Leonard et choisisse enfin le dévoué Mitchell, le seul qui saura la rendre heureuse. Autour de ce trio Jeffrey Eugenides nous dépeint aussi une époque, les années 80, les fameuses années Reagan et le souffle de liberté qui régnait sur ces campus de la côte Est américaine, Brown étant le parfait exemple des universités dont les Humanités (philosophie, littérature, religions…) étaient encore valorisées. On y découvre une jeunesse qui cherchait à briser les chaînes du puritanisme qui selon elle l’entravaient, cette jeunesse qui voyait dans l’Europe, la France en tête et ses auteurs tels que Barthes, l’exemple parfait du renversement des valeurs ancestrales et des idées préconçues sur l’Amour, la vie, la morale. Au cœur de cette émulation intellectuelle, notre trio amoureux insensible aux bouleversements, continue sa course folle, entraîné dans les affres de la passion. Le roman du mariage fut ma première découverte de l’auteur (à qui on doit le fameux Virgin Suicides). Il ne sera pas la dernier. Un livre que je recommande chaudement, une belle réflexion sur la maladie, un touchant portrait d’une génération perdue et un puissant hymne à l‘amour et à la vie.

Le roman du mariage de Jeffrey Eugenides, collections Points
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